Prêtre du diocèse de Versailles et de la Communauté de l’Emmanuel, Alain de Boudemange est professeur de théologie biblique. A l'occasion de la fête de la Toussaint il nous propose une médiation sur chacune des 9 béatitudes de Jésus. |
La première des béatitudes nous invite à être des « pauvres de cœur ».
Littéralement le texte grec dit : « pauvres en esprit », mais cette traduction française est adaptée. Dans le langage biblique, le cœur n’est pas tant le lieu des sentiments que le lieu le plus profond de la personne, son centre de gravité, d’où tout vient. Saint Luc, lui, disait simplement « Heureux vous les pauvres ». On pourrait penser que la béatitude, en Mt, est plus spirituelle et moins exigeante. Je ne crois pas, c’est peut-être même le contraire : la pauvreté qui nous obtient le royaume des cieux, c’est une pauvreté qui va jusqu’au cœur, jusqu’à l’esprit. Elle comprend la pauvreté matérielle, mais aussi toute forme de pauvreté physique, psychologique, affective, morale, spirituelle. C’est dans notre pauvreté, au cœur de notre pauvreté, que le Royaume des Cieux va pouvoir grandir et germer.
Les Béatitudes tracent un chemin, un véritable itinéraire de vie spirituelle. Cette première béatitude est la porte d’entrée. Sans passer par cette porte d’entrée, nous ne pourrons pas avancer. Sans franchir ce seuil, nous resterons des étrangers au royaume des cieux. La porte d’entrée du Royaume, c’est l’humilité. Ceux qui ont eu la chance d’aller à Bethléem savent que, pour entrer aujourd’hui dans la basilique de la Nativité, construite sur le lieu de la naissance de Jésus, là où le Royaume des Cieux a commencé à germer sur la terre, il faut passer par une porte de 78 cm de large et 1m30 de hauteur. A part pour les enfants, il faut donc se baisser pour y entrer. L’humilité est la première de toutes les vertus, celle qui entraîne toutes les autres, celle sans laquelle toutes les autres n’ont aucune valeur. Le curé d’Ars comparait l’humilité à la chaîne du chapelet qui relie toutes les vertus : enlevez la chaîne, toutes les vertus disparaissent. L’humilité est une vertu paradoxale : faire des efforts pour être humble, réussir à être humble, c’est déjà retomber dans l’orgueil. L’humilité, c’est la vertu de ceux qui se laissent faire par le Seigneur. L’humilité est une grâce que nous pouvons et devons simplement demander et accueillir. Ne la cherchons pas, accueillons-là. L’humilité nous conduit à nous reconnaître simplement tels que nous sommes, avec notre lot de richesses et de faiblesse, simplement, devant Dieu et devant nos frères. Elle nous entraîne à recevoir la grâce de Dieu et l’amour de nos frères. Elle nous fait regarder la beauté du monde et de notre prochain. Elle inspire en nous la joie et la louange pour la création et pour l’humanité. Le maître en humilité est Jésus. Il le dit lui-même : « venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau … mettez-vous à mon école car je suis doux et humble de cœur ». Saint Paul, dans le 2ème chapitre de la lettre aux Philippiens nous montre comment nous mettre à l’école de Jésus, doux et humble : il nous fait contempler Jésus : « Jésus, qui était de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ». En contemplant l’abaissement, l’humilité de Jésus, Paul nous invite à embrasser ce même chemin : « Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts, pensez aussi à ceux des autres. Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus ». Aujourd’hui, chers frères et sœurs, demandons cette grâce de l’humilité, l’humilité de Jésus. Pour cela, nous pouvons simplement penser à un petit acte d’humilité, un geste ou une parole simple, un service ou une parole qui valorise mon prochain sans me mettre en avant. |
Nous avons commencé hier notre chemin de préparation à la Toussaint à l’école des Béatitudes. Nous avons accueilli hier la première béatitude, la première étape ou plutôt la porte d’entrée sur ce chemin de la vie chrétienne, de la sainteté : « heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux ». La porte de la vie chrétienne, c’est l’humilité, l’humilité de Jésus.
Avançons aujourd’hui sur ce chemin avec la 2ème béatitude : « heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ». Peut-être certains d’entre vous seront-ils surpris. Dans certains manuscrits la 2ème et la 3ème béatitudes sont inversées. C’est demain que nous entendrons la béatitude des doux. Cette deuxième béatitude ne semble pas très heureuse. Est-ce qu’elle nous invite à être triste ? Certainement pas. Le Seigneur nous invite à la joie. Paul aime le redire régulièrement : « soyez toujours joyeux ». « Pleurer » ce n’est pas exactement s’attrister. Précisions un peu. Hier, c’était la porte d’entrée de l’humilité. Nous n’allons pas avancer trop vite. N’allez pas vous imaginer qu’il s’agirait de claquer très vite derrière-nous cette porte de l’humilité : j’ai fait l’humilité, maintenant je peux l’oublier et passer à des choses plus réjouissantes. Nous allons rester, au moins les trois ou quatre premiers jours dans cette simplicité de l’humilité : il s’agit de l’enraciner vraiment dans notre cœur. Car effectivement les huit premières béatitudes sont réparties en deux groupes de 4 : les quatre premières conduisent à une première béatitude sur la justice : « heureux ceux qui ont faim et soif de justice » ; les 4 suivantes conduisent elles-aussi à la justice : « heureux ceux qui sont persécutés pour la justice ». Les quatre premières béatitudes concernent des catégories qui commencent avec la lettre « pi » de l’alphabet grec : les pauvres (πτωχοί), ceux qui pleurent (πενθοῦντες), les doux (πραεῖς), les affamés (πεινῶντες). Si l’on voulait faire une analogie en français on aurait la béatitude des pauvres, des pleureurs, des petits, des pécheurs. Nous sommes entrés par la porte de l’humilité, nous voilà donc dans la chambre de l’humilité. C’est une très belle pièce, très sobre. Que vivons-nous dans cette grande pièce, toute pleine de lumière, nous pleurons, mais de pleurs dans lesquels nous recevons déjà une très grande joie : nous éprouvons déjà la consolation. Au fond c’est même une condition pour être consolés : ne peuvent faire cette expérience si douce et si bonne de la consolation que ceux qui savent pleurer. Pourquoi pleurons-nous ? Ce qui doit faire pleurer, c’est notre péché. Cette deuxième béatitude, deuxième étape sur notre chemin dans la chambre de l’humilité, doit nous conduire à pleurer sur notre péché. Il ne s’agit pas de s’affliger et encore moins de déprimer sur notre incapacité à nous convertir, ça n’a aucun intérêt, mais plutôt de laisser montrer la tristesse et le désir de conversion devant ce qui peine le Seigneur, ce qui fait du mal à notre prochain, ce qui nous abîme. Quel drame si nous cessons de pleurer sur notre péché, comment alors nous convertirons-nous ? Au contraire, pleurer sur notre péché, est la condition pour que nous puissions être consolés. Venons alors à la consolation, car c’est bien ce que nous promet cette béatitude : « heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ». Lorsque je pleure sur mon péché, j’attire déjà la consolation de Dieu. Nous pouvons encore être plus précis : en grec heureux ceux qui pleurent, παρακληθήσονται. Vous avez sans doute entendu un mot que vous connaissez bien, le « paraclet », littéralement le défenseur ou le consolateur. C’est le mot que l’évangéliste Saint Jean utilise pour parler de l’Esprit Saint. Dans les béatitudes de l’évangile de Matthieu, ceux qui pleurent seront consolés. Cette consolation, ce n’est pas juste l’essuyage des larmes, c’est une effusion de l’Esprit Saint : ceux qui pleure seront « paracletisés », remplis d’Esprit Saint. C’est une expérience que beaucoup ont sans doute vécus : l’expérience de se sentir pécheurs et d’éprouver, dans notre péché, que nous sommes aimés et pardonnés par Dieu, quelle joie, quelle consolation, quel amour, nous sommes remplis de Dieu, transformés, transfigurés, illuminés par la grâce de l’amour immense de Dieu. C’est souvent dans ces moments où nous éprouvons notre misère que nous sommes disponibles à la grâce de la consolation, que nous éprouvons l’amour immense de Dieu pour nous. Voici donc cette deuxième étape de notre parcours, à l’école des béatitudes : pleurer notre péché et éprouver la douceur de la consolation. Vous me voyez peut-être venir alors… Bien sûr, comment ne pas vous inviter à vivre, dans cette semaine de préparation à la fête de la Toussaint, le sacrement de la consolation, la confession. Je peux commencer aujourd’hui à préparer cette confession en pleurant mon péché et prendre la décision d’aller, dans les jours qui viennent, recevoir ce magnifique sacrement. |
Nous continuons aujourd’hui notre parcours de préparation à la fête de la Toussaint à l’école des Béatitudes. Avant-hier nous nous sommes mis en route sur ce chemin par la porte d’entrée de l’humilité : « heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux ». Hier, nous sommes restés un moment dans cette grande pièce lumineuse de l’humilité, en pleurant sur notre péché et en nous laissant consoler par l’Esprit Saint : « heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ». Aujourd’hui encore, c’est dans ce grand espace lumineux de l’humilité que nous allons cheminer avec la troisième béatitude : « heureux des doux, car ils recevront la terre en héritage ».
Comme toutes les autres, cette troisième béatitude est paradoxale, étonnante. Comment fait-on ordinairement pour posséder la terre ? Il faut lever une armée, entreprendre une campagne militaire, mener avec force et vaillance, voire avec une certaine violence un dur combat. Jésus lui-même l’évoque pour le royaume des cieux : « depuis les temps de Jean-Baptiste jusqu’à aujourd’hui le Royaume des Cieux subit la violence et des violents cherchent à s’en emparer ». Il y a une certaine détermination, un vrai engagement de la volonté à mettre en œuvre pour vivre du Royaume des Cieux. Mais dans les Béatitudes en général, et dans cette troisième béatitude en particulier, il y a une sorte de renversement de situation : la terre n’est pas promise aux violents ou à ceux qui entreprennent de grandes manœuvres, mais à ceux qui sont doux, qui reçoivent la terre comme un don gratuit. Littéralement on pourrait traduire « ils hériteront la terre », mais la traduction française « ils recevront la terre » met encore davantage en évidence le point important de cette troisième béatitude : il s’agit de recevoir, et non pas de prendre.
Toujours dans cet approfondissement de l’humilité, cette différence entre recevoir et prendre est fondamentale dans toute l’Écriture. On pourrait l’illustrer de nombreuses manières différentes. Un très bon exemple peut se lire dans la différence entre les deux premiers rois d’Israël, Saül et David. L’un et l’autre ont reçu, successivement, l’onction du Seigneur par le prophète Samuel. Mais pour Saül, on voit assez rapidement qu’il n’est plus dans une attitude de réception : il n’exerce plus son autorité comme un don reçu de Dieu, mais comme un pouvoir qu’il s’est approprié. David, lui, reçoit tout jeune l’onction du prophète Samuel, mais il mettra bien des années avant de devenir roi, puisque Saül, bien que rejeté par Dieu, continue à exercer la royauté. À plusieurs reprises David a l’occasion de tuer Saül ; ses soldats l’y encouragent, mais David refuse. Il ne prendra pas la royauté, il la recevra comme Dieu le voudra et quand il le voudra. Effectivement, quelque temps plus tard, Saül mourra dans un combat contre les philistins et ce sont les soldats de Saül eux-mêmes qui viendront trouver David pour en faire leur roi. Cette royauté, reçue et non pas conquise, sera beaucoup plus solide que celle bien fragile de Saül. C’est donc cette logique dans laquelle nous sommes invités à entrer, avec la troisième béatitude, une logique humble qui consiste à recevoir, beaucoup plus qu’à prendre. Pour le dire un peu autrement, le « doux », plutôt que celui qui fait, est celui qui se laisse faire. Il accepte de se laisser guider par le Seigneur, à travers les circonstances du monde et de la vie. Il n’est pas nonchalant ou négligeant, il oriente sa barque dans la direction dans laquelle l’emmène l’Esprit Saint. Il se met à l’écoute de la direction que lui donne le Seigneur, il l’accueille et il la traduit en action dans sa vie. Pour faire un jeu de mot sur l’adjectif « doux », on pourrait dire que le « doux » c’est celui qui est docile, celui qui se laisse enseigner, guider, par le Seigneur. Ce n’est pas la même étymologie, mais les deux vont bien ensemble. Être docile c’est être disposé à se laisser enseigner, être prêt à recevoir une parole, un conseil, un ordre qui vient d’un autre. De quelle manière un chrétien se laisse-t-il enseigner ? Le premier moyen, c’est sans aucun doute la Parole de Dieu, notamment à travers la lecture des Écritures. Lorsque je lis l’Écriture, j’entends l’enseignement de Jésus. Il est alors très facile de vouloir retrouver, dans cet enseignement, ce que j’y ai déjà compris ou ce que je crois en comprendre. Je peux lire dans l’Écriture la confirmation de mes idées. Dans ce cas, j’ai pris l’Écriture, je ne l’ai pas reçue. Au contraire, lorsque je prends le temps de la travailler et de la méditer. Lorsque je déscends dans la prière et que je laisse les mots de Jésus me rejoindre et peut-être me bousculer, alors là, oui, je reçois l’Écriture. C’est vrai pour l’Écriture, qui m’enseigne de la part du Seigneur. C’est vrai également de mes relations avec les personnes que je rencontre. Dans quelle mesure suis-ce disposé à ce que mon prochain, notamment s’il est bien différent de moi, puisse avoir quelque chose à m’apprendre ? Pour entrer davantage dans cette douceur ou cette docilité par laquelle nous recevons la terre promise de la vie divine, pour apprendre à recevoir plutôt qu’à prendre, nous pourrions prendre aujourd’hui un moment de méditation de la parole de Dieu, l’évangile du jour ou un autre texte de l’Écriture, et simplement nous laisser enseigner par Jésus, humblement. |
Nous continuons encore aujourd’hui notre chemin de préparation à la fête de la Toussaint à l’école des Béatitudes. Ces béatitudes, dans l’évangile de Matthieu, dessinent un vrai chemin de sainteté. Nous sommes entrés, au premier jour, par la porte de l’humilité, « heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux ». Avant-hier et hier, nous avons approfondis cette invitation à l’humilité en pleurant notre péché : « heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » et en se laissant enseigner par le Seigneur, « heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage ». Nous voici arrivés aujourd’hui à une quatrième étape de ce chemin, la première moitié : « heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ».
La quatrième béatitude, au début du chemin, et la huitième, à la fin, sont des béatitudes sur la justice.
Le thème de la justice est un thème très important dans l’évangile de Matthieu. Il est apparu au moins déjà deux fois, avant le ch. 5 où nous lisons les béatitudes. Matthieu, d’abord, a commencé son évangile avec un homme juste, Joseph. Lorsqu’on dit que Joseph est juste, il ne s’agit pas de dire qu’il est légaliste, qu’il cherche à respecter la loi d’une manière servile. Le juste, c’est celui qui cherche à s’ajuster, à correspondre à la volonté de Dieu au plus près, notamment dans une situation complexe. Joseph se trouve marié avec celle qui va être la mère du fils de Dieu, que doit-il faire ? Dans cette situation inédite il est juste, il cherche à correspondre à ce que Dieu lui demande, il écoute, il s’adapte, il obéit. On retrouve la justice au moment du baptême de Jésus au Jourdain. Jean veut dissuader Jésus de se faire baptiser, mais Jésus lui répond : « laisse faire, car c’est ainsi que nous devons accomplir toute justice ». Il ne s’agit pas d’une observance légale particulière. Nous avons même l’impression, comme Jean, qu’il y a quelque chose d’injuste : pourquoi Jésus, qui est sans péché, doit-il être baptisé ? Simplement parce que c’est la volonté du Père que Jésus se rende solidaire de toute l’humanité. Jésus est le juste par excellence, non pas parce qu’il aurait accompli scrupuleusement tous les préceptes de la Loi, mais plutôt parce qu’il a toujours et sans cesse été ajusté à la volonté de son Père. C’est donc ce chemin de la justice que Jésus nous propose dans cette quatrième béatitude, ce chemin que Saint Joseph a parcouru, ce chemin que lui-même, Jésus a emprunté. C’est la continuité de ce que nous avons médité hier : l’attention à la parole de Dieu, à se laisser enseigner par le Seigneur, nous ouvre à la justice. C’est parce que j’écoute ce que le Seigneur me dit, que je peux être juste, que je peux m’ajuster à sa volonté. La quatrième béatitude n’est pas seulement la béatitude des justes, mais celle de ceux qui ont faim et soif de la justice. Jésus ne dit pas seulement « heureux les justes », il s’agit aussi de laisser grandir en nous cette faim, cette soif, ce désir profond et ardent de la justice. C’est peut-être plus exigeant, mais c’est aussi rassurant. Je sais bien que je ne suis pas juste, pas parfaitement ajusté à la volonté de Dieu, mais au moins, je peux en avoir faim et soif. Je peux laisser s’exprimer ce désir en moi. Encore une fois, comme pour la béatitude d’hier, il ne s’agit pas d’abord de faire la justice, il s’agit déjà et d’abord de la recevoir, comme un don, une grâce, l’action de la grâce de Dieu en moi qui me permet de le suivre. Mais pour que la grâce de Dieu puisse agir en moi, pour que Dieu puisse venir me transformer de l’intérieur et m’ajuster à lui, il y a une condition, c’est que j’y sois disposé, que je le souhaite, ou, pour le dire avec les mots des béatitudes, que j’en ai faim et soif. La faim et la soif nous rappellent les besoins essentiels de notre humanité. Sans manger ou sans boire, je ne peux vivre. Vis-à-vis de Dieu, sans justice, je suis mort, loin de lui, au désert. La justice, c’est déjà une participation au royaume des cieux. Laisser grandir cette faim et cette soif, c’est déjà commencer à goûter le festin du royaume. La faim et la soif, sont douloureuses, mais ce sont aussi des signaux positifs. Heureusement, dans notre vie ordinaire, que nous éprouvons de la faim et de la soif. Ce sont des signaux nécessaires pour bien prendre soin de notre corps. Si la faim et la soif n’existaient pas, comment pourrions-nous répondre correctement à nos besoins alimentaires ? Transposons alors dans le domaine spirituel : nous avons aussi de profonds désirs, humains, affectifs, psychologiques, spirituels. Nous avons des désirs d’aimer et d’être aimé, nous avons des désirs de nous donner de bien des manières, nous avons des désirs de connaître Dieu et de vivre avec lui. Pour chacun de nous il faut préciser ces désirs : ils ont une forme un peu différente, qui nous est propre, que l’on pourrait appeler notre vocation. Lorsque Dieu nous a créés, il a inscrit en notre cœur ces beaux et grands désirs. Il les a inscrits pour que nous puissions y répondre. Ces désirs parfois nous font souffrir, parce que nous sentons bien que nous n’y répondons jamais parfaitement, qu’il reste encore des manques. Mais comme la fin et la soif, ce sont de beaux moteurs de notre vie humaine et spirituelle. Sans ces désirs nous serions sans doute très mous ! Je vous propose alors de prendre un peu de temps aujourd’hui, dans votre prière, pour entendre ou réentendre votre vocation. Repensez à ces moments particuliers où vous avez pu entendre le Seigneur vous éclairer sur le sens de votre vie, sur le chemin sur lequel il vous attendait. Laisser monter ou remonter de votre cœur ces grands et beaux désirs qui vous animent. S’il y a un peu de frustration, c’est normal et c’est même une bonne chose : nous ne sommes jamais complètement rassasiés sur cette terre ! Nous avons encore faim et soif. C’est ainsi que nous pouvons entendre et nous laisser guider par cette 4ème béatitude : « heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ». |
Nous continuons aujourd’hui notre parcours de préparation à la fête de la Toussaint, à l’école des Béatitudes. Nous sommes au 5ème jour maintenant. Avec les quatre premières béatitudes, nous avons commencé notre chemin par la porte de l’humilité, de la simplicité : « heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux » ; nous avons pleuré sur notre péché « heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés », nous nous sommes laissé enseigner par la Parole de Dieu : « heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage » et nous avons réveillé notre désir de suivre le Seigneur : « heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ».
Les quatre béatitudes suivantes, la deuxième partie de ces huit béatitudes, nous font entendre comme une réponse de l’homme, une sorte de mise en route. Dans les quatre premières, dans ce grand espace de l’humilité, il s’agissait d’accueillir l’humilité et la miséricorde, d’écouter la Parole de Dieu et de reconnaître les manques que nous avions. Dans la deuxième partie, nous passons à l’action. Nous n’abandonnons pas l’humilité et la simplicité, surtout pas. Nous faisons comme Marie qui a accueilli, simplement, dans une très grande humilité, l’annonce de l’ange, et qui ensuite s’est mise en route en hâte pour aller aider sa cousine Élisabeth. Dans cette deuxième série de béatitudes, la première est celle des miséricordieux : « heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde », littéralement, « heureux les miséricordieux, car ils seront miséricordiés ». C’est comme un immense cercle vertueux qui se met en route : nous avons fait l’expérience d’être pardonnés, miséricordiés par Dieu, ça nous entraîne à être miséricordieux à notre tour, et le fait d’être miséricordieux nous rend encore davantage disponibles à accueillir la miséricorde de Dieu. Il y a un vrai style de vie miséricordieux, qui n’est pas du tout un style négligeant ou relativiste, mais plutôt un style de vie dans lequel je décide de regarder le monde et les personnes avec amour, en regardant ce qu’il y a de beau avant de regarder ce qu’il y a de mauvais, en regardant la richesse de la personne au-delà des limites qui nous apparaissent. Permettez-moi, sur ce point, de vous livrer un témoignage personnel, une expérience vécue il y a plus de 20 ans maintenant, alors que j’étais étudiant, et qui a été fondatrice pour de nombreux choix et pour ma vie de prêtre depuis un peu plus de 10 ans maintenant. Pendant plusieurs mois j’ai été amené, dans le cadre d’un stage, à encadrer une formation pour de jeunes détenus en fin de peine. Pendant 3 mois je vivais, 24h/24 et 7j/7 avec ces jeunes qui avaient passé des périodes plus ou moins longues en prison. Ces stages étaient très durs, avec des relations humaines souvent très tendues. Les circonstances ont fait que, à la fin de l’un des stages, j’ai pu avoir une discussion, ou plutôt une écoute, d’un jeune qui avait alors 21 ans, c’est-à-dire à peu près mon âge, et qui avait passé 5 ans de sa vie en prison. C’était loin d’être le stagiaire le plus facile que nous avions. Pendant 1h ou 2, je ne me souviens plus exactement, assez tard un soir, il m’a raconté sa vie, avec une grande sincérité. Il m’a exposé ce qui l’a conduit là où il en était et son désir de commencer une vie différente. Je suis sorti de cette discussion profondément marqué et avec deux convictions. La première, un peu négative, est que je n’étais pas du tout sûr, si j’avais été à la place de ce garçon, que je n’aurais pas fait les mêmes bêtises. Mais c’est surtout la deuxième conviction qui m’anime encore aujourd’hui. J’ai vu avec une grande clarté ce soir-là, que derrière tous les crimes que cet homme avait commis, il y avait un cœur qui était fondamentalement bon. Le fond de cet homme, comme celui de chaque homme et de chaque femme est bon, et il s’agit de regarder d’abord cette bonté, plutôt que de s’arrêter à toutes les parties plus obscures. Cet homme-là, qui était loin d’être un enfant de cœur vous vous en doutez, a certainement été, sans le savoir, l’un de ceux qui ont eu le plus d’importance dans ma vie d’homme. Cette expérience que j’ai vécue, par la grâce de Dieu, rejoint de nombreuses scènes de l’évangile. Le premier « miséricordieux », c’est évidemment Jésus. Jésus n’est pas seulement celui qui a pardonné les péchés du paralytique : il est celui qui a accueilli la pécheresse en pleur, celui qui a su voir le publicain Matthieu et est allé déjeuner chez lui avec de nombreux pécheurs, celui qui voit la pauvre veuve aux deux piécettes et qui s’invite chez Zachée. Il ne faut pas minimiser l’originalité du comportement de Jésus, non seulement pour son époque, mais pour nous aujourd’hui. Jésus a fait ce choix positif, assumé, délibéré, de privilégier les rencontres avec les plus petits, les plus pauvres, les plus pécheurs, en un mot ceux qui, dans leur pauvreté, manifestaient une plus grande disponibilité pour l’accueillir. Pour cela Jésus a dû passer au-delà des conventions sociales, au-delà des habitudes. Il a dû avoir un regard pleinement miséricordieux. C’est ce regard de Jésus que nous sommes appelés à adopter. Par nous-mêmes, nous n’en sommes probablement pas capables, mais animés par sa grâce, par sa miséricorde, nous pourrons avoir ce même regard d’amour sur nos proches, en particulier ceux qu’il nous semble plus difficile d’aimer. Une petite démarche concrète aujourd’hui pourrait consister à choisir une personne que nous avons plus de mal à aimer, et choisir de lui dire aujourd’hui une parole d’amour ou de faire pour elle un petit acte de charité, de miséricorde. |
Nous voici aujourd’hui au sixième jour de notre préparation à la fête de la Toussaint. Dans trois jours nous serons invités, avec toute l’Église, à nous associer à la joie du ciel, de tous les saints. Pour nous y préparer nous avons choisi d’emprunter le chemin des béatitudes, ces huit ou neuf phrases de Jésus qui dessinent tout un chemin de vie chrétienne, de sainteté. Dans les quatre premières étapes nous étions dans l’humilité de l’accueil de la grâce de Dieu. Depuis hier, avec la 5ème béatitude, « heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde », nous avons commencé à agir, agir comme Jésus et avec lui. C’est ce que nous allons vivre aujourd’hui, d’une manière plus profonde encore avec la 6ème béatitude : « heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ».
Hier, nous étions invités à être miséricordieux. Il s’agissait de mettre en œuvre, dans notre vie, la miséricorde de Dieu. Demain également, avec la béatitude des artisans de paix, il nous faudra passer à l’action, concrètement. Aujourd’hui, c’est aussi d’action qu’il est question, mais d’une action très profonde, celle qui sort du cœur. Mon cœur est-il pur ? Lorsque nous pensons à la pureté, nous pensons rapidement à la pureté morale, et peut-être plus précisément à la pureté sexuelle. C’est l’une des manifestations de la pureté, une manifestation importante, révélatrice par certains côtés de l’ensemble de notre vie, mais ce n’est qu’un aspect de la pureté à laquelle nous sommes appelés. La pureté, dans la Bible, peut-être rapproché d’une autre notion, celle de simplicité. Nous pouvons faire résonner cette 6ème béatitude avec un passage du ch. 6 de St Matthieu, dans le même discours de Jésus, sur la montagne : « la lampe du corps c’est l’œil. Si ton œil est pur, ton corps tout entier sera dans la lumière ». Littéralement il faudrait traduire par « si ton œil est simple ». Le cœur simple, ou le cœur pur, est celui, comme son nom l’indique, qui n’a qu’une pensée. Ce qu’il fait ou ce qu’il dit correspond à ce qu’il pense. Le cœur simple ne fait pas de calcul pour arriver à ses fins par des moyens détournés. Cette pureté, il s’agit de la mettre entièrement sous la lumière du Seigneur. C’est ce que nous vivons déjà dans la confession, dans le sacrement de la réconciliation. Vivre le sacrement de la réconciliation, c’est venir avec un cœur simple devant Dieu. Je lui présente ce que je suis, ce que j’ai fait, ce que j’ai dit, sans aucune recherche, sans aucun calcul, dans une attente et un accueil simple de sa miséricorde. Cette expérience du sacrement de la réconciliation est une préparation à la belle et grande expérience que sera notre rencontre définitive avec le Seigneur. Au-delà de ma mort je me présenterai à Dieu tel que je suis ; l’intégralité de ma vie sera manifestée sous sa lumière. Comme Jésus le dit dans l’évangile, tout ce qui est caché sera connu, ce qui est voilé sera dévoilé. Les moments de ma vie, les pensées, les paroles qui n’ont pas été pures ou simples seront mises sous la lumière miséricordieuse du Seigneur, avec toutes autres. Le risque alors est de trouver encore des duplicités en moi, des endroits où je tente de cacher la lumière du Seigneur entre deux pages de ma vie que je ne veux pas ouvrir. Au contraire, cultiver cette pureté ou cette simplicité du cœur, c’est déjà nous ouvrir la possibilité de voir Dieu : « heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ». La simplicité du cœur nous permet d’éviter toutes les distractions du regard, tout ce qui attire notre attention sur ce qui n’est pas Dieu. Ainsi notre cœur ou notre œil devient plus pénétrant, et, au-delà de tous les obstacles, il voit Dieu. Mais le cœur pur n’est-il pas seulement une pure grâce de Dieu, comme l’humilité ou la douceur que nous avons rencontrées dans les premières béatitudes ? Peut-on vraiment travailler à la pureté du cœur autant que nous pouvons travailler à être miséricordieux ou à être des artisans de paix ? Oui ! Le cœur pur, ça se travaille. Il y a au moins deux manières de travailler à la pureté de notre cœur. C’est d’abord l’attention à ce qui entre dans notre cœur. Notre cœur, par certains aspects, ressemble à une éponge. Il y a certaines choses qu’il pourra refuser d’absorber, mais il sera assez vite limité. Pour que cette éponge ne soit rempli que de la grâce de Dieu, il faut éviter de la plonger dans un autre bain que celui de la grâce. Ce qui entre dans notre cœur, c’est ce qui passe par nos yeux et par nos oreilles : qu’est-ce que je regarde ? qu’est-ce que je lis ? comment est-ce que je regarde ? ou au contraire est-ce que j’accepte de détourner mon regard, d’éviter de lire ce qui va distraire ou pervertir mon cœur ? Qu’est-ce que j’entends ? quelles informations est-ce que j’écoute ? dans quelle conversation est-ce que j’accepte d’entrer ? est-ce que je choisis, positivement, de détourner l’oreille de ce qui va me salir ? Jésus nous dit bien : « faites attention à la manière dont vous écoutez ». La deuxième manière de travailler à la pureté du cœur, c’est de faire attention à ce qui sort du cœur. Il y a cet autre passage de l’évangile : « ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur et c’est cela qui rend l’homme impur ». Nous pouvons et même devons travailler à ce que nos pensées et nos paroles soient simples, bonnes. Les deux vont ensemble. Dire du bien nous aider à penser du bien. Penser du bien nous aidera à dire du bien. Peut-être aurons-nous l’impression que la pureté du cœur se rapproche un peu de la naïveté. Dans l’apparence extérieure peut-être un peu, mais en réalité pas du tout. La pureté du cœur, cette grande simplicité, nous donne un discernement sur nous-mêmes et sur le monde d’une incroyable lucidité. Jésus rend grâce à Dieu en disant : « je te bénis, père, seigneur du ciel et de la terre, ce que tu as caché aux sages et aux savants tu l’as révélé aux tout-petits. » Pour entrer dans cette 6ème béatitude, la simplicité ou la pureté du cœur, cette sixième étape pourrait être l’occasion d’un renoncement. Renoncement à une distraction, à une lecture, à des images qui nous détournent de Dieu et de cette vie simple et pure. |
Nous continuons encore aujourd’hui, et nous arrivons à la dernière ligne droite de ce parcours de préparation à la fête de la Toussaint, à l’école des Béatitudes. Nous avons parcouru successivement les six premières béatitudes, que nous pouvons voir comme autant d’étapes sur notre chemin de sainteté. Après nous être laissés simplifier par le Seigneur, qui fait de nous des pauvres de cœurs, des hommes et des femmes qui pleurent sur leur péché, des doux qui se mettent à l’écoute de la Parole de Dieu, des hommes et femmes qui laissent monter ce désir, cette faim et cette soif de justice, nous sommes entrés dans la 2ème partie de ce parcours, qui est comme notre réponse personnelle à l’action de Dieu. Nous sommes devenus, où nous tâchons de l’être, des hommes et femmes miséricordieux, des hommes et femmes simples, au sens le plus fort du mot, des cœurs purs. Aujourd’hui, dans cette septième étape, la septième béatitude nous invite à être, littéralement des artisans : « heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».
La paix, dont il est question dans cette septième béatitude, est l’un des principaux dons de Dieu. C’est déjà ce qui était annoncé dans les prophéties messianiques d’Isaïe : « Ils briseront leurs épées pour en faire des socs, et de leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à faire la guerre ». La paix apportée par Jésus traverse l’évangile de part en part. À la naissance de Jésus les anges chantent « gloire à Dieu, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ». À la fin de l’évangile, lorsque Jésus apparaît aux disciples au cénacle il les salue par le don de la paix : « la paix soit avec vous ». Le premier artisan de paix, celui qui est capable de nous donner la seule paix profonde et définitive, c’est Jésus, et c’est ce à quoi visait sa mission sur la terre : restaurer la paix avec Dieu et entre les hommes. Il faut par contre bien s’entendre sur la notion de paix. La paix n’est pas la tranquillité et encore moins la mollesse. La paix, comme le dit bien la doctrine sociale de l’Église, ce n’est pas l’absence de guerre. La paix n’est pas simplement une notion négative : lorsqu’il n’y a plus de conflit, plus de tension, plus de souffrances, alors on pourrait parler de paix. Non, la paix est une notion positive. C’est ce que dit cette 7ème béatitude ou ce que disent bien les enfants dans une cour de récréation : on « fait » la paix. Littéralement, la 7ème béatitude est celle des faiseurs de paix. C’est un seul mot grec, εἰρηνοποιοί, construit à partir de deux mots, le mot « paix » et le verbe « faire ». Jésus insiste souvent sur le verbe « faire » : il ne faut pas simplement écouter la parole de Dieu, il faut la « faire » (ce que nous traduisons en général par « mettre en pratique », mais c’est le verbe « faire »). Je suis de plus en plus marqué dans ma méditation sur Jésus par le fait qu’il a été, pendant plus de 20 ans, avant de commencer son ministère public, un artisan. Il a travaillé le bois, il a façonné la matière de ses mains, comme le Père a façonné l’homme dans le jardin à partir de la terre. Pour Jésus, le verbe « faire » n’est pas une abstraction ou un concept. Ce qu’il s’agit de faire, de construire, de bâtir, c’est la paix, et c’est un vrai travail. Comment fait-on la paix ? Chacun trouvera sa manière. On fait la paix, je le crois, d’abord par la parole. Vous me direz peut-être que les paroles ne sont pas de l’ordre du « faire », ce n’est pas du concret. Mais oui, les paroles font. C’est peut-être même le point de départ et le moteur le plus puissant de tout « faire ». J’évoquais le deuxième récit de création dans lequel Dieu fait l’homme en modelant la terre ; dans le premier récit, Dieu fait l’homme et toute la création, par sa parole. Nous sommes peut-être surpris par cette parole efficace. Mais c’est vrai aussi de la plupart de nos paroles : elles ont une efficacité, elles font du bien, ou elles font du mal. Quel est le poids de paix que provoquent mes paroles ? Bien sûr il ne s’agit pas d’être artisans de paix uniquement par la parole. La parole doit s’accompagner de gestes, gestes qui doivent faire grandir la communion entre nous. Les préparations au mariage invitent souvent les fiancés à réfléchir aux langages de l’amour pour faire grandir, approfondir la communion dans le couple : les paroles valorisantes, les services rendus, les moments de qualité, les cadeaux, les gestes de tendresse. Avec des modalités qui doivent être adaptées, ces langages de l’amour pourraient être étendues plus largement dans toutes nos relations. Ce sont de beaux moyens concrets pour être, dans ce monde, des faiseurs de paix.
La béatitude des artisans de paix est accomplie dans le « ils seront appelés fils de Dieu ». Dans la pensée de l’Ancien Testament, mais aussi dans l’évangile, être un « fils de », ce n’est pas d’abord être un fils biologique, mais c’est être celui qui accomplit l’œuvre du père. Jésus est fils de Dieu : il accomplit parfaitement l’œuvre du Père. Et nous-mêmes, avec lui, à sa suite, nous devenons fils de Dieu si nous faisons l’œuvre de Dieu, l’œuvre de Dieu qu’est la paix. Les faiseurs de paix, logiquement, pourront être appelés « fils de Dieu ». Je suis parfaitement fils de Dieu, je peux en vérité dire « notre Père », lorsque je participe, par mes paroles et mes actes, à la construction de la paix autour de moi et dans le monde. Je peux décider, pour aujourd’hui, d’un petit acte concret qui fasse grandir la paix autour de moi., nous pouvons simplement penser à un petit acte d’humilité, un geste ou une parole simple, un service ou une parole qui valorise mon prochain sans me mettre en avant. |
Nous voici arrivés à la veille de la fête de la Toussaint et à la huitième étape de notre préparation à cette grande fête à l’école des Béatitudes. Dans l’évangile de Mt, il y a huit béatitudes, de tailles tout-à-fait comparables et une neuvième, plus longue et un peu différente que nous méditerons demain à l’occasion de la fête de la Toussaint.
Nous avons donc parcouru tout ce chemin au cours de ces huit jours. La huitième béatitude, celle que nous recevons aujourd’hui, nous fait reparcourir tout ce chemin. D’abord elle nous rappelle le point de départ : la 1ère béatitude en effet, s’était terminée exactement de la même manière : « heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux » et celle d’aujourd’hui : « heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ». Dans les deux cas c’est le royaume des cieux qui nous est promis. Et il est à noter aussi que toutes les autres béatitudes étaient formulées au futur : « ils seront consolés », « ils recevront la terre en héritage » ; « ils seront rassasiés » ; « ils obtiendront miséricorde » ; « ils verront Dieu » ; « ils seront appelés fils de Dieu ». La première et la huitième, au contraire, sont au présent : « le royaume des cieux est à eux », c’est une promesse qui est déjà réalisée. Cette huitième béatitude rappelle la première, elle rappelle aussi celle du milieu, la quatrième : « heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ». Il est encore question de justice, mais le vocabulaire est plus fort. Ce n’est plus simplement avoir faim et soif, c’est subir les persécutions pour la justice. À l’occasion de la 1ère béatitude nous avions déjà eu l’occasion d’évoquer la justice. La justice n’est pas le légalisme, mais l’ajustement à la volonté de Dieu. Il s’agit de faire, avec tout notre cœur, notre intelligence, notre force, la volonté de Dieu. Ce qui est nouveau ici, c’est que la justice peut entraîner des persécutions. C’est d’ailleurs le point commun avec la 9ème béatitude, celle que nous entendrons demain, qui repartira du même verbe : « heureux êtes vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute… ». Ces persécutions renvoient à l’expérience de Jésus lui-même. En Jn 15,20, il annonce à ses disciples : « s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi ». Jésus est l’exemple même du juste, qui a fait en toute chose la volonté de Dieu. On aurait pu s’attendre à ce que cette justice suscite l’admiration et une reconnaissance universelle. Ça n’a pas été le cas. On constate au contraire que la justice de Jésus a suscité des jalousies qui se sont muées en haine puis en désir de meurtre. Les persécutions renvoient aussi à l’expérience des premiers chrétiens. Leur fidélité à l’Évangile, dans le contexte du monde juif et romain au 1er siècle, a conduit de nombreux hommes et femmes à subir la persécution et même à perdre la vie dans le martyre. La justice ne conduit pas directement à la persécution. La justice, nous l’avons lu ces derniers jours, nous conduit à la miséricorde, au cœur pur, à être artisans de paix. Mais nous le savons aussi, cette justice ne suscitera pas que de la bienveillance. On pourrait dire que les premières béatitudes nous ont conduit à nous considérer nous-mêmes, sans trop regarder les autres. À partir de la 5ème nous avons commencé à regarder notre engagement dans le monde. Aujourd’hui et demain nous entendons la réaction du monde par rapport à nous lorsque nous vivons, jusqu’au bout, des béatitudes. La persécution, il faut être clair là-dessus, ne doit pas être recherchée. En réalité elle se présentera à nous sans que nous ayons à la chercher, d’une manière intérieure ou extérieure, dès lors que nous vivons de la parole de Dieu, dès lors que nous avons commencé à vivre des sept premières béatitudes. Vivre avec le Seigneur, nous le savons bien, n’est pas un long fleuve tranquille, c’est un combat, un combat beau et paisible, mais un combat. La fidélité dans ce combat n’est jamais gagnée, elle est toujours à redécider. La fidélité aux sept premières béatitudes n’est jamais définitivement acquise, il faut les reparcourir jour après jour, semaine après semaine, année après année. L’enjeu alors n’est pas tant de savoir si nous sommes ou non persécutés pour la justice, mais plutôt d’identifier les persécutions, les combats que nous subissons. Si l’ennemi a réussi à s’approcher de nous sans que nous ne nous en rendions compte, il nous vaincra très facilement. Si au contraire nous avons pu le démasquer alors qu’il était encore suffisamment loin, nous serons prêts à lui opposer une résistance efficace. Ce combat ou cette résistance, nous l’avons bien compris, ce n’est pas un combat contre des personnes, ni même au fond contre des idées, mais bien contre la tentation et l’injustice dans notre vie. L’enjeu est de ne pas laisser de prise à l’injustice : c’est un beau et rude combat !
Peut-être alors est-ce l’occasion aujourd’hui de faire le tour du château de notre vie et d’identifier les endroits où le mur et plus faible, où nous serions plus facilement susceptibles de subir des tentations ou des persécutions. Il ne s’agit pas alors de se blinder, mais plutôt d’exercer une belle vigilance : Seigneur, permets-moi aujourd’hui, en particulier sur ce point, de te rester fidèle. |
Belle et sainte fête de la Toussaint ! Nous voici arrivés, après ces huit jours de préparation à l’école des Béatitudes, à ce beau moment. Nous sommes aujourd’hui entourés de tous les saints du ciel, ces grands frères et grandes sœurs au ciel, qui nous ont précédé. Avant nous ils ont vécu des béatitudes et ils nous soutiennent aujourd’hui sur notre chemin, pour que nous puissions nous-mêmes vivre de ces béatitudes. Cette neuvième béatitude nous permet d’avoir conscience de la présence et du soutien de tous ces saints : Jésus met en perspective les persécutions subies par les disciples avec celles des prophètes qui les ont précédés. Nous pouvons mettre nos persécutions en perspective avec celles de tous les saints qui nous ont précédé. Méditer sur la vie des saints est un puissant soutien pour notre sainteté actuelle : l’épître aux hébreux nous y invite : « Souvenez-vous de ceux qui vous ont dirigés : ils vous ont annoncé la parole de Dieu. Méditez sur l’aboutissement de la vie qu’ils ont menée, et imitez leur foi » (He 13,7) ; ou encore : « nous aussi, entourés de cette immense nuée de témoins, et débarrassés de tout ce qui nous alourdit – en particulier du péché qui nous entrave si bien –, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi. » (He 12,1-2).
La béatitude que nous entendons aujourd’hui se situe à la suite des 8 que nous avons méditées tous ces jours-ci, mais elle est assez différente. Déjà elle est beaucoup plus longue. Elle reprend le thème de la persécution que nous avons entendu hier, mais cette fois-ci, contrairement à toutes les autres béatitudes, elle est formulée à la 2ème personne : « heureux êtes-vous ». Ce n’est plus simplement « heureux les… ». C’est bien à nous que Jésus s’adresse. Dans les autres béatitudes, nous aurions pu douter qu’elles s’adressaient bien à nous. Nous pouvions penser que nous n’étions pas dans la catégorie qui était visée par la béatitude. Là, avec ce « vous », nous comprenons bien que c’est pour nous. Comme la béatitude précédente, et comme la première, elle est formulée au présent : « votre récompense est grande dans les cieux ». Peut-être que nous avons l’impression que si nous avons une récompense dans les cieux, il va falloir attendre pour en profiter. Pourtant, la joie doit bien être actuelle : « réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse ». Nous sommes aujourd’hui, en cette fête de Toussaint où nous entendons cet évangile des Béatitudes, alors réjouissons-nous, même si nous vivons des difficultés. C’est même davantage : nous nous réjouissons parce que nous traversons des épreuves. Attention, soyons bien précis, nous ne nous réjouissons pas des épreuves ; nous nous réjouissons parce que, dans cette épreuve, nous recevons la récompense des cieux, nous accueillons d’innombrables grâce de Dieu. Nous ne « prenons » pas ces grâces en provoquant des difficultés ou des souffrances, nous les « recevons », nous les « accueillons » à l’intérieur des épreuves que nous pouvons vivre. Comme hier, il ne s’agit pas de provoquer des épreuves, mais, dans les épreuves que nous identifions, d’attraper, quand cela nous est donné, telle ou telle grâce de Dieu.
Mais au-delà des épreuves, pour cette fête de la Toussaint, c’est certainement la joie qu’il faut retenir. La joie a parcouru l’ensemble des béatitudes : il s’agissait bien d’être « heureux ». Mais dans cette neuvième et ultime béatitude, c’est comme si cette joie débordait. Jésus insiste en redoublant le verbe : il aurait pu dire simplement « réjouissez-vous » ou simplement « soyez dans l’allégresse », il a dit les deux à la fois. C’est vrai qu’il a insisté sur la persécution en donnant trois verbes différents pour qualifier les épreuves que nous pouvons traverser, mais le voilà qui se laisse dépasser par son enthousiasme : « réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ». C’est peut-être justement tout l’enjeu de ce parcours dans les béatitudes : laisser monter la joie. Ce n’est pas une joie éphémère ou superficielle, c’est une joie qui vient du plus profond de notre cœur, une source qui se faufile dans tout notre être, une source qui jaillit dans notre vie, une source qui déborde et se communique. Cette joie, bien sûr, c’est un don, comme cette récompense dans le ciel. Elle n’est pas provoquée, elle n’est pas calculée, elle n’est pas construite, elle est reçue. Elle est reçue, comme un don, mais comme tous les dons de Dieu, elle doit être accueillie. Saint Paul, à plusieurs reprises dans les conclusions de ces lettres nous y invite : « soyez toujours joyeux et priez sans cesse ». Saint Paul nous commande d’être dans la joie. En un certain sens, la joie est un commandement. Il y a une décision à prendre et reprendre, de vivre dans la joie, ou plutôt d’accueillir la joie débordante que le Seigneur veut nous donner, quelles que soient les difficultés que nous traversons. Alors chers frères et sœurs, à l’issue de ce parcours, c’est cette joie que je vous propose d’accueillir, la joie que Jésus nous a promise tout au long des béatitudes, la joie qui déborde aujourd’hui en cette fête de la Toussaint, que nous nous communiquons les uns les autres dans nos familles et communautés, dont nous avons à être les témoins pour ce monde. |